Saturday, April 30, 2011

Avril 26 - WikiLeaks : La méthode secrète pour évaluer les détenus de Guantanamo

WikiLeaks : La méthode secrète pour évaluer les détenus de Guantanamo

| 26.04.11 | 13h15  •  Mis à jour le 27.04.11 | 10h40
 

LEMONDE

 
Quelque 800 documents sur Guantanamo obtenus par WikiLeaks ont été communiqués au "Monde".
Quelque 800 documents sur Guantanamo obtenus par WikiLeaks ont été communiqués au "Monde".REUTERS/Khaled Abdullah

Washington, Correspondante - Quand on les interrogeait sur le fait que des innocents soient incarcérés depuis des années à Guantanamo, les responsables de l'administration Bush citaient l'exemple du détenu Said Mohammed Alam Shah, libéré en mars 2004 après avoir bénéficié des meilleurs traitements médicaux de la prison. L'homme se disait afghan, victime d'une mine qui lui avait arraché la jambe quand il était adolescent, et des talibans qui l'avaient enrôlé de force.
Les médecins militaires de "Gitmo" lui avaient posé une prothèse, pour un coût d'au moins 50 000 dollars. Les gardiens l'avaient jugé coopératif. Selon l'évaluation du 18 janvier 2003, l'un des quelque 800 documents obtenus par WikiLeaks et communiqués au Monde, le détenu n'avait pas "exprimé d'intentions violentes ou de menaces à l'encontre des Etats-Unis". Il avait été jugé apte à être libéré, considérant qu'il ne "constituait pas de menace".
Quelques mois après sa libération, Mohammed Alam Shah a réapparu dans le Waziristan, au Pakistan, sous sa véritable identité, Abdullah Mehsud, et il s'est livré à des attentats qui en ont fait l'un des hommes les plus recherchés du pays. Quand il est mort, dans un affrontement avec l'armée pakistanaise, en 2007, la jambe artificielle a été identifiée. Et le Pentagone a réalisé que les détenus étaient plus avisés qu'il ne le croyait et rompus, pour certains, aux techniques de résistance aux interrogatoires (parler lentement, toujours faire répéter les questions, ne répondre qu'une fois pour éviter de se contredire et renvoyer aux procès-verbaux précédents).
Abadallah Mehsud (d.) dans le Waziristan du sud, au Pakistan, le 14 octobre 2004.
Abadallah Mehsud (d.) dans le Waziristan du sud, au Pakistan, le 14 octobre 2004.AP/M. SAJJAD
SERMENT D'ALLÉGEANCE
L'exemple d'Abdullah Mehsud figure dans une note de 17 pages ("Matrix of threat indicators for enemy combatants"), conçue par les analystes du Pentagone pour aider les interrogateurs à évaluer l'importance de leurs "clients", leur appartenance à Al-Qaida et leur dangerosité. Les indicateurs sont basés sur les déclarations des détenus eux-mêmes ou sur le témoignage de codétenus (le matricule 252 par exemple – alias Yasin Muhamed Basardh – semble être une source précieuse).
Sont hautement suspects tous ceux qui sont entrés en Afghanistan après le 11-Septembre. Ceux qui portent des montres Casio, ou qui ont été arrêtés en possession de postes de radio et de billets de 100 dollars. Les montres, notamment le modèle argenté, ont été données aux détenus qui avaient participé à la formation au maniement des explosifs improvisés, explique une note en bas de page.
Sont également hautement suspects ceux qui ont prêté le serment d'allégeance à Oussama Ben Laden ("bayat") quoique ce ne soit "pas suffisant" pour être considéré comme membre à part entière de l'organisation, pas plus que le témoignage de Khaled Cheikh Mohammed, le cerveau du 11-Septembre. Le nom du militant doit aussi figurer sur les listes enregistrées dans les ordinateurs de l'organisation ou sur les reçus des dépenses et des billets d'avion pour le Pakistan ou le Sud-Est asiatique. Ou bien il doit avoir été invité au mariage du fils de Ben Laden, par exemple.
Le document recense neuf mosquées dont la fréquentation doit éveiller les soupçons puisque des militants importants d'Al-Qaida y ont été formés ou recrutés. Cinq d'entre elles se trouvent dans des pays occidentaux : Canada (mosquée Al-Sunna à Québec) ; Royaume-Uni (mosquées de Finsbury et Bakers Street à Londres) ; Italie (Institut culturel islamique de Milan) et France (grande mosquée de Lyon).
"COUVERTURES" POUR MASQUER L'ENRÔLEMENT
Un des détenus du camp militaire de Guantanamo, le 18 novembre 2008.
Un des détenus du camp militaire de Guantanamo, le 18 novembre 2008.AP/Brennan Linsley
Le document détaille les "couvertures" données par les détenus pour masquer leur enrôlement dans le djihad : voyage en Afghanistan pour "chercher une épouse", "chercher du travail", pour "enseigner le Coran"… Voyage au Pakistan pour "un traitement médical" (Al-Qaida fournissait des certificats médicaux établis par un médecin complaisant). Plusieurs détenus européens ont affirmé avoir voulu combattre en Tchétchénie mais s'être vu expliquer par leur imam que le meilleur moyen pour s'y rendre était de passer par l'Afghanistan, et donc le Pakistan. Une fois arrivé dans une cachette de l'organisation, il n'était pas rare que Ben Laden lui-même vienne convaincre le nouveau venu d'adhérer.
Certains détenus ont affirmé qu'ils se trouvaient par accident à l'endroit où ils ont été arrêtés et qu'ils ont été "vendus" par des villageois attirés par la promesse d'une récompense. Les analystes militaires indiquent qu'ils n'ont jamais pu confirmer que des détenus soient arrivés à Guantanamo après versement d'une contrepartie financière, ce qui contredit l'un des scénarios les plus courants sur la prison.
Le document recense 36 organisations suspectes. En faire partie ou y être associé est "le signe d'activités terroristes ou insurrectionnelles". Parmi celles-ci, aux côtés d'Al-Qaida et du Jihad islamique égyptien de Ayman Al-Zawahiri, figurent les services secrets pakistanais (ISI), ce qui risque d'envenimer davantage les relations entre Washington et Islamabad.
Corine Lesnes

A lire également dans "Le Monde" daté jeudi 28 avril

En raison d'un mouvement social à l'imprimerie, Le Monde daté mercredi 27 avril n'était en vente qu'à Paris et dans sa banlieue.
A lire aussi dans ce numéro du quotidien : une double page intitulée "Evaluations d''ennemis combattants'", réalisée à l'aide de documents confidentiels qui révèlent le parcours des détenus de Guantanamo et la vision qu'en ont les Américains.
Article paru dans l'édition du 27.04.11

No comments:

Post a Comment



At midday on Friday 5 February, 2016 Julian Assange, John Jones QC, Melinda Taylor, Jennifer Robinson and Baltasar Garzon will be speaking at a press conference at the Frontline Club on the decision made by the UN Working Group on Arbitrary Detention on the Assange case.